vendredi 21 août 2015

YSENGRIN - Liber Hermetis


YSENGRIN


Liber Hermetis



Hermetic Dark Metal
Label : Nuclear War Now! Productions
Date : 1 juillet 2015

Tracklist : 
1. E.T.P.
2. Concvpiscentia
3. Satvrnia Regna
4. Crvcifiement
5. Poeterie Gibeline
6. Temphomet
7. Non Povrtant je vy choses horribl
8. La Grandissulvtion
9. Hors dv Siècle
10. Chvte totale
11. Ovverture Totale
12 Anteros
13. Mystères de l’Artifex
14. Iose


Lourde de complots occultes et de rites cabalistiques, la pochette de Liber Hermetis se charge déjà de diffuser une sinueuse fragrance de mystère et de non-dits, en présentant une divinité à deux visages (Janus, il me semble ?), sablier dans une main, en dominant deux autres personnages, à droite une silhouette voilée et énigmatique, et à gauche un visage barbu, peut être celui d’un mourant à son expression, cette impression étant toujours renforcée par les titres des morceaux qui n’évoque rien, sinon des secrets toujours plus lourd, telle que « Temphomet », Mystères de l’Artifex » et j’en passe. Ysengrin se pose là, formation qui aime décidément s’entourer de mystère.
S’adressant tour à tour en latin, en grec, en italien, en vieux français, le groupe parfume déjà ses compositions grondantes d’un ésotérisme tout à fait avenant, qui vous saisit à la gorge comme une bouffée de poussière âcre qui jaillirait des pages décrépites d’un tome perdu dans les rayonnages d’une bibliothèque séculaire, à la lumière d’un candélabre terni à la flamme vacillante. 
Alors que la plupart des morceaux sont soutenus par la poigne de fer d’une guitare distordue à en faire passer un grognement de troll mal luné pour le cri effarouché d’une pucelle, et dont le timbre frise à en donner des ulcères, qu’elle fait résonner ses accords grasseyants au registre tantôt death lourd et grave, tantôt bestial black abyssal, un ombrageux tribun nous interpelle se da plaidoirie mystique et incantatoire, menée d’une voix de baryton gutturale et rauque.
Le batteur, autre huluberlu de la formation, sait de temps à autre se discipliner et battre ses rythmiques cadencées, très judicieusement mises en avant par la prod pour diversifier le jeu autrement linéaire de la guitare, il se prend toutefois de folie à certains instants, et fait sonner des clusters déjantés entre ses cymbales et sa caisse claire, avec de brusques déccélérations suivies de reprises de cadences qui en ridiculiseraient Mike Portnoy. Et parce que ça ferait petit joueur de s’arrêter à ces bizarreries là, la formation fait intervenir aussi sa part d’instrument parfois incongrus, entre un luth gracieux et mélancolique, un carillon enveloppant, des percussions aux sons étranges, et j’en passe.
Mais là où Ysengrin est le plus désaxé, c’est sans doute dans ses thématiques : il alterne, tout en jouant avec pas moins d’une demi-douzaine de langues comme déjà dit, divers sujets dépareillés, mais non moins dépourvus de saveur. En jouxtant entre des prophéties messianiques, des récits pantagrueliens, et des théories astrologiques datant du Moyen-Âge; des bribes de contes mêlant Tarasque, St Georges, la quête du Graal et des paraboles christiques parviennent régulièrement à nos oreilles pour le moins abasourdies, survient parfois un mélange entre la geste de Beowulf, Gaspard de la Nuit et les contes de Perrault, le tout assaisonné de légendes de chevalerie hésitants entre la chanson de Roland, et des poèmes d’amour courtois en vieux français. Toutefois, l’investissement intellectuel et thématique du groupe n’éclipse pas sa performance musicale propre, qui n’est pas pour en déplaire et se soude à la perfection avec les idées que la formation tend à exprimer, entre les chants purement hallucinants, soutenus des riffs de guitare occultes et pesants qui se relèvent parfois de solos éblouissants (celui qui a lieu dans les deniers minutes du titre « Hors dv Siècle » est peut être l’un de meilleurs qu’il m’ait été donné d’écouter), sans qu’un seul de ces éléments ne se contredisent, et n’aille à contresens du reste. La spirale vertigineuse s’étire toujours plus, semblable à un mauvais rêve dont on ne parvient à en sortir, dont les évènements ne cesse d’aller vers le plus désaxé, illogique, Ysengrin serrant de plus en plus ses griffes noires sur un auditeur désorienté dans un labyrinthe tentaculaire, se perdant dans des miasmes toujours plus épais, harcelé sans cesse par cette musique qui finira par se muer en mélodie de cauchemar…
Et c’est peut être là la seule erreur de cet album : sa durée. Un peu plus d’une heure représente un certain pari pour une formation qui se plonge profondément dans l’expérimental et l’originalité. C’est sans doute aussi un parti pris pour le sens et la cohérence du groupe par rapport à ses thématiques, mais cela n’empêchera pas d’en rebuter plus d’un, pour une écoute qui auditivement parlant n’est elle-même pas facile (écoutez cette galette d’un traite à fond dans vos écouteurs, vous me comprendrez mieux). Mais cela ne m’empêche pas de placer ‘Liber Hermetis’ dans le must-listen 2015 - selon l’avis de votre humble serviteur - , car certes il ne s’agit absolument pas de la démonstration par une poignée de musiciens de leur maîtrise d’un genre particulier, ni d’un album percutant et efficace qui vous séduit dès ses premiers riffs, mais bien d’un saut dans le vide artistique (certes, la formation n’en est pas à son coup d’essai, mais elle a su renouveler encore une fois son impétueuse muse), un pas audacieux comme on en voit peu, et finalement, si c’était pas ça, un véritable artiste ?
Cette formation révèle d’une part un talent musical prolifique et virtuose, et de l’autre un éclair de génie dans l’oeuvre qui se dévoile à nous : à la manière du triste conte de l’ermite au pied de l’abîme de la folie, reclus dans une bibliothèque dont même le nom a été oublié, qui a sacrifié toute son existence et les fastes qu’elle aurait pu lui offrir, pour se consacrer tout entier, de son corps et de son âme, à la recherche de la vérité ultime et absolue, est, parallèlement à l’exaucement de son souhait, le bourreau de sa propre damnation. Surtout dans un domaine comme le metal, où une taxonomie furieuse et contagieuse semble s’emparer de tout, Ysengrin remue d’un grand coup de godillot tout des remugles fourvoyés avec cet album décidément affranchi de toutes limites, autant musicales qu’existentielles, et en philosophe éclairé, remet en question bon nombre d’idées concernant la vérité, la connaissance et la sagesse, et notre rapport au passé, à ses légendes et à sa part d’enseignements qu’il a à nous léguer. 







- Pestifer




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