dimanche 31 août 2014

THANTIFAXATH - Sacred White Noise

THANTIFAXATH


Sacred White Noise





Black metal
Date de sortie: 15 avril 2014
Label: Dark Descent Records



Tracklist:
1. The Bright White Nothing At The End Of The Tunnel
2. Where I End And The Hemlock Begins
3. Gasping In Darkness
4. Eternally Falling
5. Panic Becomes Despair
6. Lost In Static Between Worlds






Salut bande de sociopathes dégénérés! Vous aimez jouer à vous faire peur? Moi aussi et j'ai ce qu'il vous faut! Thantifaxath est un trio venant de Toronto, a déjà sorti un EP éponyme en 2011, dispose d'un contrat avec l'excellent label américain Dark Descent Records et... c'est tout ce que l'on sait d'eux! Aucune identité n'a jamais été révélé, aucun musicien crédité, pas même un pseudo et cela en fait sans doute l'un des secrets les mieux gardés du petit monde du metal (allons, même en ce qui concerne Papa Emeritus il y a des fuites!). Idem pour le nom du groupe, vous pouvez chercher longtemps, si vous n'êtes pas calé en ésotérisme, vous ne trouverez probablement rien. Je m'y suis risqué et il semblerait que Thantifaxath soit un nom plus ou moins lié aux Qlippoth et à l'arbre de mort (par opposition à l'arbre de vie et ses Sephiroth dans la Kabbale). Etant tout sauf un expert en la matière, je n'irais pas plus loin pour ne pas dire de connerie. De même, aucun site, aucune page sur un quelconque réseau social, rien du tout si ce n'est une petite adresse email qui traîne discrètement sur les copies physiques de l'album. 
Choisir un tel nom, jouer masqué et préserver son anonymat, la recette n'est pas nouvelle et force est de constater que l'on voit tout et son contraire. Devant la médiocrité de pas mal de ces groupes, je comprend aisément pourquoi certains cherchent par tous les moyens à planquer leur identité. Thantifaxath, c'est tout le contraire. Leur délire est parfaitement abouti. Bon, tout ça, c'était pour la petite parenthèse et pour introduire le groupe mais passons à ce qui nous intéresse vraiment, la musique.

Thantifaxath pratique un black metal sauvage et dissonant que l'on pourrait réellement croire habité par une entité maléfique destinée à pervertir les esprits. Les riffs, tout droit sortis d'un cauchemar éprouvant, sont incroyablement oppressants et pourtant, ils vous rentrent dans le crâne de force, vous étripent et vous malmènent dans tous les sens possibles. Sacred White Noise est une véritable expérience, un tournoiement métallique ahurissant qui se répète à chaque écoute et laisse un sentiment d'impuissance ou d'incompréhension encore longtemps après. Certains sons vous hanteront pendant pas mal de temps. Essayez simplement de résister à l'impressionnant riff d'intro du morceau d'ouverture ou aux atmosphères terrifiantes du dernier.
Il faut dire que les compétences des musiciens sont plutôt bien mises en avant. Les morceaux ne semblent pas particulièrement techniques, il n'y a rien ici qui impressionnera un musicien expérimenté mais la précision est néanmoins chirurgicale. Que la guitare incise ou tranche dans le gras comme une forcenée, elle ne peut laisser de marbre. La batterie fracasse puissamment tandis que la basse rampe sournoisement en background pour mieux vous surprendre dans les quelques moments où elle passe plus en avant. Quant aux parties plus atmosphériques, si elles ne révolutionnent certes pas le genre, elles n'en restent pas moins efficaces, vous emportent tout en vous glaçant le sang. Les hurlements du vocaliste ne sont pas en reste, ils expriment avec brio une haine acerbe, un dégoût cinglant en parfaite adéquation avec les thèmes principaux des morceaux. A noter d'ailleurs que la pochette de l'album, qui cadre elle aussi plutôt bien avec la musique de Thantifaxath, est une photographie tirée de la collection "Family Of Man" que l'on doit à Jerry Cooke.
Il en résulte un album violent et angoissant en tout point que la production, rugueuse bien que très bonne, rend particulièrement écorchante.

Les Canadiens ont véritablement trouvé leur propre style. Il est en effet plutôt ardu de trouver un élément de comparaison avec d'autres groupes de black metal (ou d'autres groupes tout court d'ailleurs, pour ce que cela importe). Certains s'y risquent pourtant avec Xasthur ou Deathspell Omega entre autres, mais personnellement, je préférerais simplement dire que Thantifaxath ne ressemble à rien d'autre qu'à Thantifaxath. Ils jouent du black metal oui, mais avec une personnalité bien à eux qui élève le genre à un autre niveau malgré le fait qu'ils ne semblent pourtant pas chercher la nouveauté ou l'originalité à tout prix. Point de fioritures, d'expérimentations fusionnelles ou d'ornementations pseudo-spectaculaires, juste trois musiciens qui exorcisent leurs démons... à moins que ce ne soient trois démons qui vous possèdent à travers leur musique.  


Highlights: "The Bright White Nothing At The End Of The Tunnel" "Lost In Static Between Worlds"





samedi 30 août 2014

NYKSTA - Lieka Tik Sienos

NYKSTA


Lieka Tik Sienos




Post-black metal
Date de sortie: 22 février 2014
Label: Inferna Profundus Records


Tracklist:
1. Vyne
2. Smelkiasi
3. Žmogus: I - Dar Giliau
4. Žmogus: II - Paranoja
5. Į.I
6. Leistis
7. Rytojaus Moralės Dykuma








A travers ce blog, je me découvre une véritable fascination pour l'Europe de l'Est. Je veux dire, cela fait déjà quelques années que ma curiosité m'a amené à jeter une ou deux oreilles dans ces contrées pas si lointaines mais largement méconnues par ici. Mais vraiment, je ne pensais pas faire autant de si bonnes découvertes en si peu de temps. Je ne sais pas d'où cela peut bien provenir mais une chose est sûre, il y a là-bas une scène incroyablement prolifique ET talentueuse. Et originale, en plus. Mais comme toujours, ces petites pépites sont bien enfouies et il ne faut pas tellement compter sur nos médias français, même les plus spécialisés, pour les dénicher. Bref, tout ça pour dire qu'il y a quelques semaines tombait dans ma boîte mail une invitation d'un groupe à aller écouter son album, chose que je me suis empressé de faire (enfin pas tellement, vacances obligent...) et je n'ai pas été déçu!

Nyksta s'est formé à Vilnius, Lituanie l'année dernière et c'est en février qu'est sorti Lieka Tik Sienos, son 1er album. Le groupe définit lui-même sa musique comme de l'urban black metal, ce qui je dois le dire, colle plutôt bien à son univers étrange, glauque et glacial bien que moderne. En d'autres termes, il s'agit de mettre en musique la décadence urbaine et mentale de nos sociétés actuelles à travers diverses expérimentations sonores, de l'atmosphérique / ambient au post-metal en passant par quelques incursions dans le progressif, le tout enrichissant un black metal agressif. Du post black metal quoi, dira l'autre! Non car Nyksta se distingue de cet effet de mode par une approche très personnelle, alternant des passages bien ancrés dans le black metal traditionnel, d'autres vraiment planants et par des expérimentations inattendues. L'utilisation de leur seule langue maternelle est de plus un véritable atout, le lituanien s'accordant étonnamment bien au style et ajoutant une très large part de mystère à un album en soi déjà bien surréaliste. 

Les gros riffs de guitare envoient le pâté, le son est d'entrée accrocheur et agressif. Parfait exemple, le morceau d'ouverture, "Vyne" est un pur condensé de puissance qui vous prendra à la gorge dès les premières notes. Plus subtils parfois, les guitares tourbillonnent sans fin sur des lignes hypnotiques et font tourner la tête jusqu'à épuisement avec une facilité déconcertante, comme c'est le cas sur le morceau suivant "Smelkiasi". De longues parties instrumentales, envoûtantes et énigmatiques, viennent parfois faire retomber le chaos et pourraient même vous emmener avec elles dans des recoins sombres et inquiétants. L'un des principaux atouts de Nyksta, c'est de savoir jouer avec les atmosphères en déstructurant ses compositions. On ne sait jamais vraiment ce qui va suivre et les effets de surprises sont nombreux. Ils varient incessament les plaisirs, s'autorisent même des moments particulièrement accrocheurs comme en témoigne le superbe "Žmogus: I - Dar Giliau" ou encore des explorations moins évidentes, je pense notamment au saxophone qui intervient sans prévenir sur "Į.I" D'ailleurs, ce morceau atteignant presque les 10 minutes justifie à lui seul l'écoute de Lieka Tik Sienos par son exploration musicale complètement hallucinée. On y retrouve vraiment beaucoup d'éléments différents (black metal, doom, sludge, avant garde...) à travers une succession de plans surprenant certes, mais maîtrisés. Ajoutant une corde à son arc, Nyksta continue sur un instrumental drone / ambient des plus glauques avant de conclure sur un morceau dont la fin est particulièrement glaciale, inquiétante et pessimiste.
Il me reste encore à souligner la performance du vocaliste qui officie dans un registre rauque et offensif me rappelant une sorte de croisement entre un Niklas Kvarforth et un Fernando Ribeiro énervé (cet avis n'engage que moi bien entendu!). Son style s'adapte vraiment bien aux morceaux et je me demande bien ce que le monsieur est capable de délivrer en live... La production, elle, lie le tout intelligemment et fait sonner l'album de façon cohérente, malsaine et dérangeante. L'album est servi dans un beau digipack que je n'ai malheureusement pas encore reçu, ceci dit un bel effort semble avoir été réalisé également sur l'artwork. 

D'aussi loin que je m'en souvienne, il s'agit là de ma première expérience avec le metal lituanien et Nyksta a parfaitement transformé l'essai. Le groupe a choisi la voie difficile du concept mais prouve qu'il maîtrise son sujet, dépeignant un paysage urbain complètement dévasté et nimbé de brume et une société post moderne sombrant toujours un peu plus dans la folie à travers des compositions complexes, riches en détails et en sons surréalistes, et s'accordant parfaitement avec ledit concept. Un premier album qui laisse vraiment présager du meilleur pour la suite, de là à dire qu'il s'agit d'un des meilleurs debut albums de cette année, il n'y a qu'un pas... Sveikinu!


Highlights: "Žmogus: I - Dar Giliau"  "Į.I"






samedi 23 août 2014

GRIMEGOD - Wrong Roads

GRIMEGOD


Wrong Roads





Gothic Doom / Death metal
Date de sortie: 26 mars 2014
Label: Taboo Productions



Tracklist:
1. Wrong Roads
2. Senseless
3. The Envy
4. Jump Into The Void
5. Conscience Song
6. The Last Immaculate Flash
7. The Curse Of The Falling Angel
8. Industria Muzicala







Grimegod a beau avoir plus de 20 ans d'existence au compteur, ce n'est que très récemment que j'ai découvert cette formation originaire d'Arad, ville roumaine située entre Hongrie et Transylvanie. Une longue carrière malgré une discographie assez peu fournie puisque Wrong Roads signe le retour du premier groupe de death metal roumain (du moins à ma connaissance) aux abonnés absents depuis 14 ans, si l'on exclue le single sorti en 2006. La faute est imputable à d'incessants changements de line up mais il semblerait que la stabilité ait été retrouvée pour la sortie de l'album et la tournée européenne qui suivit, en compagnie de leurs compatriotes de Negură Bunget (avec lesquels ils partagent aussi plusieurs musiciens). C'est d'ailleurs à l'occasion de leur passage à Reims que votre serviteur s'est vu confronté pour la première fois au doom/death classieux des Roumains. La découverte fut assurément une très bonne surprise, les compositions défendues sur scène n'ayant eu aucun mal à me transporter dans un univers particulièrement sombre et brumeux mais non dénué d'une beauté indicible. L'écoute de l'album qui s'ensuivit acheva de me convaincre que Grimegod a de sérieux atouts à faire valoir.

L'ombre des sorties Peaceville (Katatonia, Paradise Lost, My Dying Bride...) plane au dessus de Wrong Roads. Il faut cependant reconnaître aux Roumains (et cela ne vaut d'ailleurs pas que pour Grimegod) cette facilité déconcertante avec laquelle ils créent de splendides atmosphères, mélancoliques et nostalgiques ou évocatrices de la lointaine et mystérieuse Transylvanie. Ajoutant à leurs influences une bonne dose de feeling bien de chez eux, Grimegod a su trouver une fort belle manière de s'en démarquer en composant un album assez différent de ce qui se fait habituellement au sein de la sphère doom/death. Les poncifs du style sont pourtant bien là, qu'il s'agisse des instrumentations contemplatives, des assauts plus rageurs, des orchestrations grandioses ou du chant partagé entre voix gutturales sorties d'outre tombe, chant clair et vocalises féminines. 
Parfois intimiste, parfois plus colérique ("Conscience Song" et son riff décapant ou "Jump Into The Void") voire même assez enjouée (l'instrumental "The Curse Of The falling Angel"), la musique du combo n'en reste pas moins d'une cohérence à toute épreuve. Les changements d'atmosphères sont des plus réussis notamment grâce au travail collectif des guitaristes et des orchestrations qui agissent de concert pour vous faire passer d'un aspect planant et onirique à une facette plus violente et terre à terre. Sans nul doute, la qualité du mixage y est également pour quelque chose, les sons les plus abrasifs vous écorchant volontairement les oreilles au plus près tandis que les guitares clean ou les nappes de claviers sonnent de façon beaucoup plus douce et plus lointaine. Il y a véritablement une notion de profondeur. Musicalement certes, mais également "physique". Wrong Roads est capable de faire ressentir un vide, une immensité infinie tout comme il peut vous écraser sous le poids d'une trop dure réalité.
Les trois vocalistes ne sont pas en reste, chacun apportant de l'émotion à sa manière. Les divers styles sont maîtrisés, se complètent idéalement et leur diversité ajoute encore un peu plus de cohésion aux diverses facettes musicales du groupe. Histoire d'enfoncer le clou et de parfaire l'ambiance "transylvanienne", Grimegod se paye le luxe de conclure par un morceau chanté dans sa langue maternelle. J'aurais aimé avoir les paroles sous la main pour en avoir une traduction mais finalement... non, laissons à ce groupe sa part de mystère.

Wrong Roads est définitivement un voyage émotionnel, sombre, empli de mélancolie et / ou d'une certaine résignation sans verser pour autant dans la dépression, empli de même d'une certaine colère, impétueuse et vindicative sans être une explosion brutale et haineuse. Loin de moi l'idée d'extrapoler sur la direction musicale empruntée par Grimegod, il faut, je pense, plus y voir une expérience cathartique, un exutoire salvateur face à la part sombre de l'existence. Il forme en ce sens un tout résolument intimiste, les auteurs de ces compositions sachant y faire pour éveiller une empathie chez celui qui voudra s'y plonger. Wrong Roads est certainement le compagnon idéal pour une morose soirée pluvieuse d'automne passée en solitaire. Il en a en tout cas toutes les caractéristiques, mises en musique avec justesse et précision.


Highlights: "Conscience Song" "Industria Muzicala"







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lundi 4 août 2014

FOREST OF TYGERS - Bruises

FOREST OF TYGERS


Bruises




Sludge Black Metal
Date de sortie: 29 avril 2014
Label: Acteon



Tracklist:
1. Bruises
2. As Flakes Of Ash
3. Tigerstripe
4. Wet Death







Nashville, Tennessee. Une ville d'un peu plus de 600000 âmes à l'histoire musicale extrêmement riche. Berceau de la country music, rendue également légendaire par le nombre de rockers mythiques qui s'y sont succédé d'Elvis Presley à Johnny Cash en passant par Bob Dylan et tant d'autres. Mais intéressons nous aujourd'hui à Forest Of Tygers, duo formé d'un couple marié pour la petite anecdote. Leur aventure en tant que groupe démarre en 2011, le premier single sort en 2013 et est suivi de cet EP 4 titres.

On ressent dans cet EP une volonté de faire ressortir une attitude ancrée dans l'underground et le DIY. Cela se traduit par une production que j'imagine volontairement brouillonne mais non dénuée de patate et ficelée de manière à bien s'adapter aux compositions du duo. Le style pratiqué est une habile combinaison de sludge urbain et de post-hardcore matraquant, avec certains aspects plus black metal. Ces 4 morceaux sont résolument sombres, puissants et dévastateurs. Les riffs de guitares, bien mis en avant, tabassent sur des successions d'accords "in your face" tandis que le chanteur hurle ses tripes, ou envoient sur les parties instrumentales des arpèges hypnotiques et acerbes, tranchants comme des rasoirs, parfois harmonisés comme c'est le cas sur "Tigerstripe" ou "Bruises". Ce dernier introduit de fort belle manière cet EP en vous écrasant sous un mur de guitares agressives et de rythmiques imposantes qui ne vous quitteront plus. 

"As Flakes Of Ashes" présente une facette plus agressive encore, misant en premier lieu plus sur la rapidité d'exécution que sur la lourdeur. Le morceau évolue ensuite vers quelque chose de plus atmosphérique par une transition groovy très bien trouvée. On se rapproche ici d'un stoner en mode extrême.

"Wet Death" achève l'EP de façon hautement destructrice. Guitares et basses tourbillonnantes vous enivrent à une vitesse folle et en l'espace d'à peine plus de 2 minutes. Un broyage de tympan en règle qui prouve combien l'alliage musical pratiqué par Forest Of Tygers, s'il n'est pas le plus brutal qui soit, est particulièrement incisif et sans compromis.

Un EP 4 titres très prometteur dont le titre correspond parfaitement à ce qui vous attend (pour les noms anglophones, bruises = contusions). J'espère sincèrement qu'un album complet verra le jour prochainement, j'aime vraiment être malmené de la sorte.


Highlight: "Bruises"






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LOCKTENDER - Rodin

LOCKTENDER


Rodin





Post-Hardcore expérimental
Date de sortie: 1er avril 2014
Label: Autoproduction


Tracklist:
1. The Burghers Of Calais
2. The Thinker
3. Eternal Springtime
4. The Man With The Broken Nose







Ce que j'aime dans l'art en général, c'est cette façon qu'il a de parfois vous transporter, de vous faire ressentir des choses insoupçonnées. Bien évidemment, je ne suis pas un expert dans le domaine, je m'y connais même très peu. Mais chaque expérience est bonne à prendre m'a-t-on appris et quand il est possible d'étendre ses connaissances tout en appréciant de la bonne musique, pourquoi ne pas se laisser tenter? Ainsi, je suis assez friand d'albums conceptuels, quand le groupe est en totale cohésion avec l'histoire qu'il développe. Jusqu'à maintenant, je connaissais surtout des albums inspirés de livres ou de films. Locktender a choisi un pari bien plus osé, celui de traiter d'un artiste par album, quelque soit son domaine. Formé originellement sous le nom de Men As Trees, le combo de Cleveland a jusque là travaillé sur des personnages aussi divers que Kafka, Blake, Melville ou encore Nightingale. L'album qui nous intéresse aujourd'hui est entièrement dédié au sculpteur français Rodin. C'est un des caractères du metal et des genres assimilés que j'apprécie particulièrement. La musique m'offre un moyen de m'intéresser à de nouvelles choses et cet album en est le parfait exemple.

N'ayant jamais été véritablement intéressé par la sculpture en elle-même, du moins au-delà du caractère architectural et historique de la chose, il me semblait particulièrement difficile de mettre de telles œuvres en musique. C'était sans compter sur le talent des Américains qui, sur ces 4 pièces, donnent véritablement vie aux personnages immobiles dont les mains adroites de Rodin ont dessiné les contours un peu plus d'un siècle derrière nous.
Afin de bien comprendre le message que veut faire passer Locktender, il est indispensable de s'intéresser un minimum aux travaux de Rodin. Le morceau qui ouvre l'album, "The Burghers Of Calais" est une pièce impressionnante approchant les 20 minutes. La sculpture représente six habitants de Calais (Eustache de Saint Pierre, Jacques et Pierre de Wissant, Jean de Fiennes, Andrieu d'Andres et Jean d'Aire), victimes d'un marché imaginé par le roi d'Angleterre Edouard III en août 1347: le sacrifice de ces six hommes pour laisser la vi sauve à l'ensemble des habitants de la ville sur le point d'être conquise par les Anglais (source Wikipedia). Le morceau lui, est particulièrement représentatif de ce qui pouvait se passer dans la tête de ces hommes à cet instant précis. Le morceau joue sur une dynamique des plus réussies entre le désespoir, la colère ou encore le sentiment d'injustice amenés par des passages tout en lourdeur et dotés d'une rage impétueuse et au contraire l'acceptation voire la résignation retranscrite par de fragiles et délicates guitares. On imagine, tout au long du morceau, la torture mentale que devait être pour les six bourgeois le sort qui leur était réservé, s'avançant la corde au cou à moitié nu vers leur funeste destin (scoop, ils s'en sont sortis vivants, à la demande de Philippa de Hainault, l'épouse d'Edouard III, un peu d'histoire ne peut faire de mal).
La progression du morceau est lente, le groupe prenant le temps d'installer son propos, et offre une succession de plans différents alliant rock indé, post-rock, hardcore, expérimentations... Peut-être une façon de faire parler chacun des protagonistes. Dans tous les cas, l'écoute de "The Burghers Of Calais" ne peut laisser indifférent et prouve déjà que Locktender maîtrise son sujet, avec savoir et passion.

L'autre gros morceau, "The Man With The Broken Nose" tape dans les 12 minutes. "Inspiré par un vieil homme de peine du quartier Saint-Marcel, connu sous le nom de « Bibi », le buste commença par être un portrait. Mais Rodin, en accentua certains traits, le nez cassé, les rides profondes, la barbe. La découpe du buste et sa nudité « philosophique », le bandeau antiquisant dans les cheveux, renforcent l’impression d’une œuvre qui n’est plus tout à fait un portrait individuel mais qui rassemble, en s’appuyant sur des traits particuliers, des éléments très généraux qui sont ceux du philosophe et de l’artiste." (source Musée Rodin). Le morceau s'articule de la même façon que "The Burghers Of Calais" autour de cassures diverses entre parties calmes et parties plus violentes, toujours avec ce son inimitable. Il est question ici de l'artiste lui-même et de son rapport à l'art. Pour être plus précis, le morceau avance l'idée que l'artiste peut tout à fait rendre beau ce qui ne l'est pas et qu'il n'y a à priori rien de laid dans l'art exception faite de ce qui est dénué de caractère. Il est d'ailleurs intéressant de constater que ce morceau prend alors une toute autre dimension puisqu'il permet à lui seul d'expliquer la musique pratiquée par le groupe et qu'il engagera l'auditeur à s'investir encore un peu plus, tant sur le plan strictement musical que sur le plan conceptuel (les paroles, l'artiste dont il est question etc...).

Les 2 autres morceaux, beaucoup plus courts, font la part belle aux 2 facettes principales de Locktender. "The Thinker" est un morceau rapide et violent (et accessoirement l'oeuvre la plus connue de Rodin) montant crescendo vers un final plus aérien avec la seule apparition de chant clair de l'album. Il y a une véritable énergie communicatrice dans ces riffs de guitares plus enjoués. "Eternal Springtime" est au contraire un calme instrumental composé d'une douce guitare et d'un violon poétique. La sculpture de Rodin célébrant l'amour et le printemps, les 2 instruments évoluent en harmonie et décrivent parfaitement ce sentiment de paix et de bien être.

Si en dehors de la musique l'art vous intéresse, ne manquez surtout pas ce groupe. Il parvient ici à mettre en mouvement des personnages pourtant immobiles, à leur insuffler des sentiments et à raconter leur histoire avec justesse. L'art ne connaît décidément pas de limites, y compris quand il s'inspire d'œuvres déjà existantes. Locktender transmet sa passion avec brio et rien que pour cela, merci.

Highlight; "The Burghers Of Calais"


Il est à noter que le groupe offre l'intégralité de sa discographie (y compris celle sortie sous le nom de Men As Trees) en téléchargement gratuit sur leur site.







Storenvy (page de merchandising)

dimanche 3 août 2014

THE GREAT OLD ONES - Tekeli-Li

THE GREAT OLD ONES


Tekeli-Li




Post-Black metal
Date de sortie: 16 avril 2014
Label: Les Acteurs De l'Ombre



Tracklist:
1. Je Ne Suis Pas Fou
2. Antarctica
3. The Elder Things
4. Awakening
5. The Ascend
6. Behind The Mountains







"Je ne suis pas fou." C'est sur cette phrase que débute Tekeli-Li, comme la nouvelle dont il est inspiré, Les Montagnes Hallucinées par H.P. Lovecraft. La nouvelle relate l'histoire d'une expédition en Antarctique. Allant d'une découverte à une autre, l'expédition va connaître une véritable descente aux enfers, dont le cadre est une immense chaîne de montagnes, habitat d'une ancienne civilisation puissante de créatures inconnues de la science, les Grands Anciens. Comme je le disais dans la chronique précédente, je ne suis pas un spécialiste de Lovecraft. En réalité, c'est cet album qui m'a décidé à m'y mettre. Le voyage, autant littéraire que musical fut saisissant.

The Great Old Ones est un groupe bordelais formé en 2009 avec en tête le projet de mettre en musique le mythe Lovecraftien. Remarqué assez rapidement par Les Acteurs de l'Ombre, il sort son 1er album Al-Azif en 2012, annonçant des débuts prometteurs et plutôt bien reçu des critiques et du public mais malgré tout confidentiel. Sorti mi-avril, Tekeli-Li (qui est le son émis par les Shoggoths, création monstrueuse des Anciens dans le but d'en faire leurs esclaves) est une véritable opportunité pour le groupe. Marquant l'essai musicalement, il semble aussi lui offrir une bien meilleure visibilité.

Décrire la musique pratiquée par The Great Old Ones n'est pas une mince affaire. Si l'on retrouve effectivement tous les éléments qui peuvent composer un groupe de post-black metal, Tekeli-Li va bien au delà, peut être par une approche plus brutale, sans pour autant réellement se rapprocher d'un black metal pur. Ce que l'on retiendra en tout cas, c'est que le concept est particulièrement travaillé et mis en avant de manière remarquable. Que ce soit les narrations reprises de la nouvelle (l'intro ainsi qu'à divers moments clés) ou les instrumentations, ambiantes, glaciales et angoissantes tout à la fois, l'album est doté d'une cohérence rare. Comme chez Lovecraft, où le lecteur avance pas à pas aux côtés du professeur William Dyer notant le moindre indice, trépignant d'impatience pour connaître enfin l'horrible vérité, l'auditeur de Tekeli-Li n'est plus véritablement maître de lui-même. Il se laisse emporter dans la tourmente, le froid cinglant des riffs, le vent le fouettant sans cesse au moyen de subtiles lignes montant crescendo en background, les falaises abruptes de ces montagnes gigantesques répercutant la lourdeur de la section rythmique... Le paysage effrayant et fascinant est parfaitement décrit et rien n'est laissé au hasard, l'écoute de cet album dans des conditions optimales est une réelle expérience.
Le concept est si réussi qu'il m'est impossible de détacher un morceau en particulier. Il faut dire que les compositions sont toutes longues (si ce n'est l'introduction, elles dépassent toutes les 7 minutes) et pour autant aucune n'est répétitive. Nous avançons continuellement vers l'inconnu total qui ne nous sera révélé que lors de l'ultime et épique épopée "Behind The Mountains" qui achève l'album par pas loin de 18 minutes éprouvantes. L'unité que demande ce type d'album est bel et bien là, Tekeli-Li ne peut s'écouter que d'un trait.

L'aventure commence donc par une narration sortie tout droit des Montagnes Hallucinées, histoire de planter le décors d'entrée (décors déjà particulièrement bien mis en évidence par la magnifique pochette de l'album  réalisée par Jeff Grimal également membre du groupe aux postes de chanteur et guitariste). Vient ensuite un "Antarctica" débutant tout en lourdeur et démontrant petit à petit toute l'étendue du talent torturé des musiciens. Déjà, un violent blizzard vous enveloppe avant qu'en milieu de parcours une partie instrumentale ne vous fasse contempler les étendues vierges et glacées de cette contrée lointaine, si belle et si dangereuse. Telle une bête tapie dans l'ombre, l'art des bordelais vous happe sans prévenir et vous entraîne toujours plus profondément vers une peur indicible.
"The Elder Things" nous mène à la rencontre de cette fameuse civilisation perdue. Bâtie sur les mêmes fondations que "Antarctica", cette composition n'en reste pas moins un prétexte à d'excellentes trouvailles. Nous en profiterons pour noter le remarquable travail de mixage, les couches de guitares se superposant de façon magistrale et grandiose et ce, sans étouffer une basse très présente.
La description qui ouvre "The Awakening" soutenue par une guitare stridente est un pas de plus vers l'horreur. Plus lourd, ce morceau est empli de désespoir à l'image de cet intermède en guitare clean, mélodie lancinante accompagnant le constat sans appel du narrateur. Cette lourdeur s'accompagne également d'une atmosphère pesante amenant un véritable sentiment d'oppression. L'étau se ressert irrémédiablement et il n'y a plus d'échappatoire. 
Si le morceau suivant, "The Ascend" est un instrumental, ce n'en est pas moins une pause, bien au contraire. La rapidité et la brutalité traduisent ici une urgence quasi palpable, toujours en adéquation avec le récit de cette malheureuse expédition.
Si le monstrueux "Behind The Mountains" qui clôture l'album démarre de façon beaucoup plus calme, ce n'est que pour mieux vous emporter vers les tréfonds abyssaux, enfouis sous les reliefs et dissimulant des secrets plus enfouis encore, des secrets qu'il n'aurait jamais fallu révéler. Les 18 minutes que contiennent ce titre forment assurément le point d'orgue de l'album, entre sauvagerie pure, atmosphères angoissantes et psychédélisme menaçant.

Tekeli-Li est une oeuvre incroyablement bien pensée qui méritera un bon nombre d'écoutes avant d'être entièrement assimilée. Chaque détail compte et contrairement à l'expédition de la Miskatonic University, il est plus que conseillé de se laisser submerger, au risque de se perdre à jamais dans le dédale montagneux antarctique. Un album monstrueux qui me fait d'ores et déjà attendre la prochaine réalisation d'un groupe appelé, je n'en doute pas, à exercer une influence indéniable sur la scène hexagonale (et pourquoi pas au-delà de nos frontières).

Highlights: "Antarctica" "Behind The Mountains"





Ce n'est qu'un détail mais pour les lecteurs potentiellement intéressés, un film sur la nouvelle de Lovecraft Les Montagnes Hallucinées est prévu pour 2017 avec Ron Perlman dans le rôle principal et Guillermo Del Toro à la réalisation. Voilà qui promet!